RSF, Arcom et CNews… Réflexions sur des tensions en cours 

Le 26 novembre dernier, Reporters sans frontières (RSF), organisation pour laquelle j’ai travaillé il y a près de dix ans, publiait une enquête intitulée « Pluralisme en France : sur CNews, le grand contournement ». L’étude, qui a concerné les programmes de BFMTV, CNews, France Info et LCI durant le mois de mars 2025, a démontré les manquements des chaînes d’information en continu au principe de pluralisme. Parmi les plus inquiétants : l’existence de tunnels de rattrapage nocturnes pour compenser le temps de parole de certains courants politiques, le choix de sujets ne reflétant pas les principales préoccupations des Français ainsi que des angles de couverture favorisant un point de vue au détriment d’un autre. 

Au lendemain de la publication, l’autorité de régulation des médias audiovisuels et numériques, l’Arcom, réagit par un commentaire dans Le Point, contestant les conclusions de l’enquête par rapport aux calculs des temps d’antenne accordés aux formations politiques. L’effet de ces propos fut immédiat puisque la direction de France 2 demanda à l’équipe de l’émission Complément d’enquête, en amont de la diffusion de son reportage sur CNews le soir-même, de retirer en catastrophe la partie consacrée à la compensation de la nuit du temps de parole politique, dénoncée par RSF. 

Si cela démontre bien à quel point l’éthique des médias est un enjeu crucial qui va au-delà de la régulation institutionnelle, c’est plutôt à la méthodologie novatrice de RSF, à sa perception et à son intérêt pour les pouvoirs publics que j’ai voulu consacrer ce billet de blog. 

Sur la méthodologie novatrice de RSF

Les organisations de défense des droits humains travaillent en général ardemment à développer une méthodologie indépendante qui permette de mener des recherches de manière déontologique, dans l’objectif d’obtenir des résultats fiables et de produire des recommandations qui soient entendues par les différentes parties. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’approche de RSF dont le mandat est de défendre le droit à la liberté d’information, dans l’esprit de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. 

Ainsi, pour son enquête sur le pluralisme en France, l’organisation a répertorié 700 000 bandeaux d’information collectés sur CNews, BFMTV, France Info et LCI, pendant un mois. À l’aide du langage de programmation Python et du logiciel Pytersseract, elle a analysé et classifié 97,3% de ces bandeaux, en vérifiant manuellement la fiabilité des échantillons par des tests aléatoires. Au niveau qualitatif, RSF a choisi de se concentrer sur la journée du 31 mars, qui a vu l’annonce du verdict du procès de Marine Le Pen, et à l’aide d’un logiciel de montage vidéos, elle a analysé le choix des angles de couverture (défense et critique du verdict principalement). Les données collectées ont ensuite été mises en lien avec le cadre juridique régissant le pluralisme en France.  

L’utilisation de cette méthodologie novatrice a permis d’établir que CNews a fait usage de tunnels de rattrapage nocturne pour faire intervenir de personnalités politiques de gauche, dans le but de répondre de manière contournée, aux exigences institutionnelles du pluralisme. L’enquête a par ailleurs démontré comment les principaux sujets de préoccupation des Français occupaient moins de 4% du temps d’antenne de l’ensemble des différentes chaînes, CNews s’étant concentrée sur les sujets de l’insécurité et de l’islamisme quand les trois autres médias ont surtout couvert la guerre en Ukraine. Enfin, concernant la couverture de la condamnation de Marine Le Pen, l’étude de RSF a révélé un déséquilibre considérable dans la couverture de CNews qui a consacré la plupart de son temps d’antenne sur le sujet le 31 mars, à critiquer la décision de justice.   

Par cette démarche basée sur une méthodologie qui a fait ses preuves, RSF a accompli sa mission d’intérêt général, en révélant les enjeux actuels autour de la question du pluralisme. Il est donc surprenant de constater que cette approche semble n’avoir pas convaincu l’Arcom, l’organisme chargé de faire respecter le pluralisme en France.  

Le point de vue de l’Arcom et les dernières évolutions sur les règles du pluralisme 

Comme je le disais plus haut, l’Arcom a balayé d’un revers de main les résultats de l’enquête de RSF, en affirmant qu’elle n’avait constaté « aucun contournement des règles du pluralisme politique sur le mois de mars 2025 ». Sur le site csa.fr, il est possible de voir qu’en mars 2025, les relevés des temps d’intervention des personnalités politiques hors campagnes électorales établissent que les chaînes d’information ont donné la parole tant aux représentants de l’exécutif qu’aux personnalités et partis politiques n’en faisant pas partie, dans des proportions à peu près équivalentes. Ces résultats n’indiquent toutefois pas comment a été évaluée la représentativité des divers courants d’opinion. 

Pour rappel, le cadre général dans lequel opère l’Arcom sur le sujet du pluralisme politique relève principalement de la Constitution, de la jurisprudence en lien avec la Loi du 30 septembre 1986 et des recommandations de l’instance de régulation, qui existe depuis 1989 (ex-CSA). Par ailleurs, en 2017, l’Arcom a changé d’approche suite entre autres, à l’élection du Président Emmanuel Macron. En effet, alors que jusque-là, la mesure du pluralisme se référait à une recherche d’équivalence dans le temps de parole entre la majorité parlementaire et l’opposition, de nouvelles règles ont été établies et mises en oeuvre à partir de janvier 2018, pour mesurer la « diversité des courants de pensée et d’opinion » dans les médias. Cette mesure a eu pour effet d’encourager une présence plus accrue de courants politiques comme ceux de l’extrême droite, assez peu représentés dans les médias pour des raisons historiques. Un autre effet a consisté au contournement de la méthodologie de décompte du temps de parole, principal outil utilisé par l’Arcom. Ainsi, des chaînes comme CNews, propriété de Vincent Bolloré, homme d’affaire d’extrême droite à l’agenda politique assumé, se sont mises à ne donner la parole aux courants politiques de gauche, qu’à des heures d’audience quasi nulles.

C’est pour souligner l’existence de ces nouvelles problématiques que RSF a mené son enquête provoquant une réaction défensive de la part de l’Arcom, ce qui dénote de tensions liées principalement à l’utilisation de différentes méthodologies d’évaluation du pluralisme politique. Rappelons à ce sujet, qu’en juillet 2024, l’Autorité avait dû ajuster certaines règles du fait des actions de l’organisation de défense de la liberté de la presse. En effet, suite au rejet par l’Arcom d’une demande de RSF en vue d’une mise en demeure de CNews, devenue « média d’opinion » selon l’organisation de défense de la liberté de la presse, cette dernière avait introduit un recours auprès du Conseil d’État. Le 13 février 2024, la plus haute juridiction de l’ordre administratif s’est prononcée en faveur du recours, en donnant un délai de six mois à l’Autorité pour réexaminer le « respect du pluralisme et de l’indépendance de l’information par la chaîne CNews ». Cette décision qualifiée d’historique a permis de clarifier plusieurs principes liés au pluralisme et à l’indépendance de l’information, dont l’appréciation de la diversité des expressions de façon globale, la prise en compte de l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités, et la nécessité de ne pas qualifier ou classer les participants aux programmes selon des courants de pensée et d’opinion. 

Néanmoins, la mise en oeuvre de ces principes semble encore difficile comme l’a révélée RSF.

Au-delà du cas CNews : reconnaître l’importance du travail de recherche d’organisations comme RSF

Pour faire face aux multiples défis liés au respect du pluralisme politique, une meilleure prise en compte du travail de RSF, est essentielle.

Pour cela, il me semble important de faire un point sur la façon avec laquelle est menée le travail d’investigation des organisations des droits humains, qui peuvent parfois souffrir d’une perception biaisée. RSF a par exemple été accusée de favoriser la « censure », à partir du moment où elle s’est attaquée au paysage médiatique français. Pourtant, RSF, comme d’autres organisations sérieuses de défense des droits humains, travaillent de la même manière sur tous les pays, quand il s’agit de défendre et de promouvoir les droits humains. Elles ont pour boussole le droit international des droits de l’homme dont découlent les obligations des différents États et pour matière, les données et témoignages de victimes qui prouvent des atteintes aux droits humains. La finalité de leur travaux d’investigation est d’assurer l’indépendance et l’impartialité de leurs recommandations et de provoquer des changements tangibles mettant fin aux violations des droits humains.

Ainsi, les organisations de défense des droits humains ne sont pas des outils de soft power au service des États. Elles sont au contraire, des intermédiaires de la société civile qui tentent de développer une approche holistique et des propositions concrètes pour protéger le système démocratique partout dans le monde. De ce fait, leur travail de recherche mériterait d’être mieux connu et reconnu alors que sont mises à mal, à l’ère de la montée de nouvelles formes d’autoritarisme, les possibilités de financement de programmes consacrés à la documentation indépendante des violations des droits humains.

Par ailleurs, il me semble important de dire qu’il existe une relation quasi-organique entre une autorité de régulation du paysage médiatique et une organisation de défense de la liberté de la presse. En effet, si les autorités de régulation ont une indépendance fonctionnelle, elles ne disposent pas d’une autonomie financière. Leur budget est donc déterminé chaque année par la loi de finances, élaborée d’abord par l’exécutif. C’est pourquoi, les autorités de régulation des médias peuvent avoir naturellement besoin du soutien d’organisations comme RSF pour mener leur mission en toute indépendance, loin de potentielles pressions. 

Enfin, il faut souligner que l’Arcom a un devoir d’exemplarité puisqu’elle est pour beaucoup, la garantie de l’existence d’un véritable pluralisme politique, clé de voûte contre tout monolithisme de la pensée. En ce sens, elle est une véritable source d’inspiration et d’action pour les défenseurs de la liberté de l’information, notamment pour ceux et celles qui vivent sous des régimes autoritaires ou dictatoriaux.  

Pour toutes ces raisons, le travail que fait RSF mériterait à mon avis, d’être considéré comme une opportunité plutôt que comme un empêcheur de tourner en rond. C’est ainsi que le pluralisme politique en France et ailleurs sera mieux protégé, à l’aune d’un monde médiatique de plus en plus orienté idéologiquement, utilisant le droit à la liberté d’expression pour justifier un affranchissement des règles mises en place et consolidées sur le temps long par des processus démocratiques, acquis de haute lutte.  

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بعد مرور عام على سقوط بشار الأسد، ماذا عن المسار الديموقراطي في سوريا؟

من الصعب تناول موضوع سوريا دون أن يرافق ذلك شعور بالانزعاج نتيجة نقص المرجعية التاريخية في التحليلات المختلفة التي قرأتها بمناسبة الذكرى السنوية لسقوط بشار الأسد يوم 8 ديسمبر 2024، بعد 53 سنة من النظام الشمولي الأسدي. وبالرغم من أنني لست خبيرة في الشأن السوري، لكنني، كالعديد من المهتمين بمنطقة أفريقيا الشمالية والشرق الأوسط، لدي معرفة عامة عن أهمية هذا البلد في التاريخ

وعندما ترجع سوريا إلى مقدمة الأخبار لأسباب غير مرتبطة بالحرب، يرجعني الإحساس بنوع من الانجذاب المغناطيسي لهذه المنطقة الذي يذكرني بملايين الأسئلة التي تعاقبت في ذهني في الماضي حول تأثير الأمويين على الفكر القانوني و الآثار الموجودة في دمشق عن سفر ابن خلدون وحياة الأمير عبد القادر ونشأة الأيديولوجية البعثية العلمانية في سياق الانتداب الفرنسي على سوريا ولبنان. و قريبا مانسيت هذه التساؤلات في خضم التغطية الإعلامية للحرب الأهلية التي شنّها بشار الأسد للبقاء في السلطة، و التي أسفرت عن مقتل أكثر من 500,528 شخصًا بين 2011 و 2024، حسب المرصد السوري لحقوق الإنسان، بالإضافة إلى نزوح ما لا يقل عن 6 ملايين شخص خارج سوريا و نحو 7 ملايين آخرين داخل البلد، حسب منظمة الأمم المتحدة

وبعد قراءة عدة مقالات، يبدولي أن من ناحية التفكير عن امكانيات ترسيخ مسار ديموقراطي، فإن الإشكالية الأساسية  اليوم تدور حول كيفية تحقيق مشهدًا سياسيًا داخليًا يحقق المواطنة في سوريا، بعد أن تم تشتيت أرضها وشعبها تحت الديكتاتورية و في ظل صراعات جيوستراتيجية تتداخل فيها مصالح اقتصادية وأمنية ودينية متناقضة

تحديات داخلية جسيمة

حسب ما كتبه الكثير من الصحفيين والخبراء والأكاديميين المهتمين أو المختصين بالشأن السوري، فلا جدال حول واقع التحديات الجسيمة التي تواجهها البلد على مختلف المستويات تحت قيادة الرئيس أحمد الشرع وحركته « هيئة تحرير الشام » التي أطاحت ببشار الأسد

فعلى الصعيد الاقتصادي، علاوة على التكلفة الباهظة المتعلقة بإعادة بناء بلد دمره القمع الوحشي والتدخل العسكري الأجنبي، فإنّ 90 بالمئة من سكان سوريا، الذي يبلغ عددهم 24 مليون نسمة، يعيشون في حالة من الفقر، حسب أرقام برنامج الأمم المتحدة للتنمية. ولم تتمكن السلطات الجديدة من تعزيز خزائن الدولة للتصدي لهذه الظاهرة، بل انتهجت سياسة اقتصادية ليبرالية تتجلى في تقليص الضرائب على المنتجات المستوردة مثلا. وتستفيد من تلك القرارات الطبقة الغنية وبعض الحلفاء الخارجيين مثل تركيا، بينما تبقى الغالبية العظمى من المواطنين تعاني من حياة يومية صعبة

أما على الصعيد الحقوقي، فقد تعرضت الحكومة الانتقالية لانتقادات شديدة بسبب فشلها في الحد من الانتهاكات لحقوق الإنسان عند استعمالها للقوة المفرطة وغير القانونية ضد الأقليات، مثل العلويين في الساحل والدروز في مدينة السويداء، مما أسفر عن سقوط آلاف الضحايا. ولم تتمكن الحكومة من إنشاء مسار للعدالة الانتقالية يتماشى مع المعايير المعترف بها في القانون الدولي، وهذا ما يعكس صعوبة قبول حركة  « هيئة تحرير الشام » ، التي استخدمت العنف كوسيلة للوصول إلى الحكم، فكرة عدالة معنية بانتهاكات حقوق الإنسان تم ارتكابها خلال فترة قد تعني قيادة هذه الحركة، بما في ذلك أحمد الشرع نفسه. وبالإضافة إلى ذلك، لا تزال تشكي الكثير من منظمات المجتمع المدني، التي قد تلعب دورا مهما في حلّ هذه القضية، من تهميشها من القرارات التي تعنيها، أو إشراكها بطريقة سطحية في حوارات لا تتبعها أفعال ملموسة

وعلى الصعيد السياسي، قام أحمد الشرع وفريقه بتفعيل مقترح منظومة سياسية تقوم على عدة مكونات. أولاً، تم الإعلان عن دستور إنتقالي في 13 مارس 2025، يتكون من 53 مادة مكتوبة بطريقة ملخصة ومختصرة، دون أي ضمانات لتطبيقه في غياب محكمة دستورية، التي حتى لو تم تأسيسها، ستكون تحت قبضة الشرع الذي يعين جميع أعضائها. ثانياً، تم تشكيل حكومة انتقالية في 29 مارس 2025، ومعظم أعضائها مقربين من الرئيس. وأخيراً، تم إجراء انتخابات تشريعية يوم 5 أكتوبر 2025 للتصويت على ثلثي أعضاء البرلمان (الثلث الباقي سيعينه أحمد الشرع)، مع اختيار نظام الإقتراع غير المباشر يعكس ميول الحكومة الانتقالية نحو مقاربة « نخبوية » قد تطرح تساؤلات حول تمثيلية مكونات أخرى من المجتمع. ويهدف مجلس النواب إلى وضع دستور جديد لسوريا قبل خمس سنوات. والجدير بالملاحظة أن جميع هذه المؤسسات تقوم على توجيهات رجل واحد هو أحمد الشرع، الذي لم ينتخب بطريقة ديمقراطية

الديناميكيات الاقليمية و عواقبها السلبية

في ظل هذه التحديات العديدة، يمكن استيعاب الهشاشة الداخلية التي تعيشها سوريا، والتي تساهم في تفاقم الانعكاسات السلبية الناجمة عن وجودها في موقع جيوستراتيجي ملتهب، تتصارع فيه أنظمة سياسية ذات الطابع الديني أساسًا. وفي هذا السياق، الجدير بالذكر أنه جاء في  إعلان الدستور الإنتقالي أن للفقه الإسلامي دورًا مرجعيًا. وبما أن دور البعد الديني مهيمن على جيوسياسية المنطقة، فلا شك أنه ستعاني بنية دولة قانون قائمة على نظام ديموقراطي، من الدور الذي يلعبه الدين كركيزة ايديولوجية لأنظمة ثيوقراطية أو استبدادية في جوار سوريا

و رغم ذلك، فعلى المستوى الدولي و خاصة في الغرب، يبدو أنه يحظى أحمد الشرع ذو الماضي السياسي الاسلاموي المتطرف، بمعاملة استثنائية لم يتحصل عليها رجل سياسي عربي آخر ناجم من ثورات ما سُمي بالربيع العربي. فهكذا أصبح اليوم الشخصية المركزية الوحيدة التي تُعزى بجدارة رفع العقوبات عن سوريا من قبل بلدان كبريطانيا وفرنسا والولايات المتحدة. ومن خلال تعدد مقابلاته مع الصحافة الدولية أو مشاركته في منتديات، تمكن الشرع من التعبير عن رؤيته برزانة ولطف وهدوء، مؤكدا أنه في الحكم لفترة انتقالية فقط، و أن بلده في حاجة الى قيادة كفؤة قبل كل شيء، و أنه من الضروري حماية الأقليات والمدنيين و ايقاف اسرائيل من هجوماتها الدائمة بالاضافة الى احتلالها لمنطقة الجولان

ويمكن فهم ذلك في اطار تراجع الثقافة الديموقراطية في الغرب، بالإضافة إلى التحالفات المعتادة القائمة على المصلحة عندما يتعلق الأمر بقادة الدول الأفريقية أو الشرق أوسطية، الذين يتفقون على حماية مصالح معينة. حينما يشعر البعض بالقلق إزاء لعبة التوازن الذي انتهجها أحمد الشرع لتوجيه السياسة الخارجية السورية في اطار نفوذ خارجي متعدد، قد يعرقل المسار الداخلي لسوريا نحو التغيير الديموقراطي. فمثلا، لقد وافق الشرع على الحفاظ على القواعد العسكرية الروسية في طرطوس وحميميم لمواكبة بوتين، رغم الدمار الذي سببه التدخل الروسي في 2015، أملًا ربما في وجود طريقة لإعادة تسليح سوريا. وفي الوقت نفسه، خصص الشرع زيارته الأولى إلى المملكة العربية السعودية ذات النظام السياسي الوهبي غير الديموقراطي،  وتحصل على تمويل من الرياض، بالإضافة إلى وساطتها في التعامل مع الولايات المتحدة. ولإدارة بعض الاضطرابات الداخلية، فقد اقترب الشرع بتركيا ورئيسها الأوتوقراطي للتعامل مع قضية الكرديين المتمردين بهدف الحد من نفوذهم

على أي حال، ورغم كثرة المخاطر حول المرحلة الانتقالية، فلنأمل أن الشعب السوري سيتمكن من خلق مصير أعظم من كل ما قد يعرقله في الماضي والحاضر، مستشهدا بكبار مثقفيه و منهم الشاعر أدونيس الذي كتب في « سياسة الشعر »: «فالإنسان ليس ما كان وحسب، وهو أكثر مما هو عليه: الإنسان، جوهريًا أعظم من ماضيه وحاضره، لأنه خالق لمصيره: يصنع نفسه، باستمرار، ويصنع العالم كذلك، باستمرار.»

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Boualem Sansal, Kamel Daoud et nous ! 

L’emprisonnement en Algérie puis la libération de Boualem Sansal le 12 novembre, ont suscité en France des réactions qu’il est impossible d’ignorer tant elles ont mobilisé des personnalités du milieu littéraire certes, mais surtout, politique, à l’extrême droite de l’échiquier français. 

Avec l’affaire de Boualem Sansal, nous avons eu un exemple concret de la rétribution dont peut bénéficier un Algérien qui défend les idées de l’extrême droite française. Cette dernière s’est, en effet, attelée à sauver le « soldat Sansal », alors que la présence des Algériens en France est devenue un enjeu électoral, masquant le véritable enjeu mémoriel pour les nostalgiques de l’ « Algérie Française ».

Certains commentateurs, plutôt marqués à gauche, ont rappelé défendre la libération d’un écrivain, avant tout. Si ce propos est factuellement correct, ce n’est certainement pas le maniement très conventionnel de la langue française par Boualem Sansal qui a pu marqués ses lecteurs, mais plutôt sa capacité à construire un récit qui participe à la stratégie de prise de pouvoir de l’extrême droite en France. Prenons comme exemple son roman Le village de l’allemand publié en 2008, Sansal y décrit le « grand remplacement », théorisé deux ans plus tard par les penseurs de cette même extrême droite, pour qui l’utilisation de certains éléments de langage était devenue essentielle pour la conquête de l’espace médiatique. Aussi, dans son roman, Sansal absout la culpabilité des fascistes à l’égard des Juifs, en superposant les « islamistes » aux nazis, et l’imam à Hitler. Avec ce genre de raccourci, Sansal a participé avec d’autres, à permettre à un parti comme le Rassemblement national de faire de la lutte contre l’anti-sémitisme et de la défense d’Israël, une évidence rhétorique.  

Ce mode opératoire n’est pas sans rappeler Kamel Daoud, autre écrivain algérien provocateur et sujet à de nombreuses polémiques pour ses chroniques publiées dans Le Point, ou ses romans notamment Houris, son dernier livre. Il est loin le temps où beaucoup voyait en Kamel Daoud un grand écrivain au vu des fulgurances littéraires qu’il a pu produire. « La religion pour moi est un transport collectif que je ne prends pas », « Écrire, c’est écouter un son, le préserver et tourner autour, sans cesse, pour tenter d’en rendre la mélodie, s’en approcher le plus possible pour le conduire de l’oreille à la bouche » ou encore « Je passe la moitié de ma journée à vouloir rester (en Algérie) et l’autre moitié à vouloir partir » (cette dernière citation est citée de mémoire) sont parmi celles qui m’ont le plus marquée. Au fur et à mesure du temps, Kamel Daoud est devenu la caricature de l’arabe à qui il voulait donner la liberté d’exister au-delà de la caricature qu’on s’en faisait ;  « voleur » pour avoir puisé  pour un de ses romans, dans l’histoire d’une femme algérienne victime des atrocités des années quatre-vingt-dix, sans son consentement, « menteur » quand il écrit des inepties sur des sujets comme la Palestine, et « fainéant » pour sa paresse intellectuelle incompréhensible jusque dans sa propre famille. D’une certaine façon, Kamel Daoud a tout d’un personnage romanesque peu affable, mais obsédé par l’écriture et (et c’est bien là le problème), le besoin de reconnaissance, peu importe le fond idéologique de ceux qui le « comprennent ». 

Réunis et propulsés régulièrement dans l’espace médiatique français, Sansal et Daoud forment un duo perçus comme algériens avant tout. Leur nationalité d’origine est la preuve de l’existence d’une histoire qu’ils cherchent à remettre en question pour se rendre intéressants auprès de ceux qui pensent que l’indépendance de l’Algérie n’était pas la meilleure option. Ils sont dans leur ingratitude envers ce qui est la raison même de leur succès, à savoir leur algérianité, une blessure de plus dans les relations entre algériens et français.      

Travaillant pour les intérêts d’une classe politique qui inscrit le « matraquage symbolique » dans un combat idéologique contre l’ « islamisme » et les musulmans, Sansal et Daoud feignent d’ignorer, publiquement du moins, les réelles motivations de l’obscur agenda de l’extrême droite, au nom de l’exercice de leur droit à la liberté d’expression. Certains militants peuvent alors être déboussolés par cette tactique de défense et avoir peur de se faire taxer de militants de circonstance, ou pire de chauvins/nationalistes/« onetwotristes ». 

Dans ce contexte, il me semble essentiel de rappeler plusieurs choses. D’abord que les discours qui incitent à la haine, sont punies en droit, autant que la diffusion de fausses informations. Deuxièmement, si les militants des droits humains ont pour principe de défendre le droit à la liberté d’expression, la concentration des médias dans les mains de milliardaires de droite ou d’extrême droite orientant le débat public, doit être dénoncée. Enfin, il est permis de considérer que face à cette situation, le monde a besoin d’écrivains et d’intellectuels engagés, c’est-à-dire qui se donnent pour rôle, du fait de leur position sociale privilégiée, d’éclairer l’opinion publique sur les rapports de domination qu’ils sont capables d’articuler et surtout, de faire entendre. 

Comme écrivait l’immense Jean-Paul Sartre dans La nausée :  « Le droit n’est jamais que l’autre aspect d’un devoir ».

A minima, nous avons le droit d’exiger plus de pluralisme dans le débat public, pour que ceux qui ont appris à canaliser la colère du peuple, n’accaparent pas l’espace public avec la complicité d’hommes d’affaires riches plus que de raison. Car contrairement à ce qu’ils veulent faire croire, l’extrême droite ne s’est pas renouvelée fondamentalement et les promoteurs du « nous n’avons jamais essayé » semblent peu conscients de la gravité des conséquences d’une prise de pouvoir de l’extrême droite. 

Enfin et il faut le dire, les prises de position ou de décision visant à restreindre les libertés fondamentales pour des motifs politiques cachés ou détournés, doivent également être rejetées. La mobilisation pour la libération des prisonniers politiques est une constante des défenseurs des droits humains. 

Pour conclure, il sera peut-être possible de sortir de la politisation excessive qui entoure les deux écrivains algériens les plus médiatisés de France, en reconnaissant comme préambule aux discussions et actions les concernant, la double problématique du manque de pluralisme et d’éthique en France (comme en Algérie d’ailleurs), avec pour but de redonner leur place à deux opportunistes qui semblent vouloir faire réagir à tout prix.  

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My review of « How Propaganda Works »

How Propaganda Works is the title of philosopher Jason Stanley’s book released in 2015 by Princeton University Press. I got it while on a trip to New York in 2017 and although it took me a few years to finish reading it, I think it may still be useful to share a review that, hopefully, can help those worried about the continuous erosion of democracies and the democratic ideal.

While Stanley’s focus is the United States and how this country grapples with the issue of propaganda when confronting uncomfortable historic events or entrenched power, I personally found this book to be intellectually stimulating for other political contexts too, thanks to Stanley’s analytical framework that I believe is valid for any biased political rhetoric.

Another strength of this book is that it is filled with examples that allow the readers to go back in history and develop a critical thinking approach to identify propagandistic discourses nowadays. 

Propaganda defined! 

When introducing the concept of propaganda, Stanley digs deep into its philosophical roots. I was captivated by the connection made by the author between Plato’s conception of an ideal state and the challenges of contemporary governance. Plato, a staunch critic of democracy, posited that a society needed to be managed by experts (modern day technocrats) whose primary objective would be the efficiency of society. As Stanley highlights, Plato’s skepticism towards democracy principles is still used today as a justification for the existence of hierarchical structures, where few people manage society’s resources in the name of efficiency. That is one of the reasons why, argues the author, a usurpation of democratic language exists nowadays to disguise an antidemocratic managerial vision in practice. A compelling example is the European Union’s governance structure, which embodies the tension between the efficiency imperative regarding debt handling by European states (as documented by Yanis Varoufakis’s book Adults in the Room about the « bailout prison » that Greece was) and the democratic values that are emphasized in the founding texts of the EU. This contradiction illustrates Stanley’s general definition of propaganda: « the use of a political ideal against itself. » 

Other definitions of propaganda include the one found in classical literature: « a flawed ideology that’s false and insincere. » Against that, Stanley argues that propaganda can be both « true and sincere ». He thus introduces the concept of « undermining propaganda » that could be summarized as a flawed ideological belief that is part of the epistemic factors related to the production of a propagandistic discourse.

As illustrations for this notion, Stanley mentions the abuses surrounding religious beliefs. When American Televangelism « truthfully and sincerely » proclaims that wealth and prosperity are the signs of Jesus’s favors, for example, this spreads materialist capitalist values disguised as Christian doctrine. When Hitler claimed that « Jews are black death » framing Jews as a public health threat, it succeeded because it exploited existing irrational beliefs.

Stanley does not omit to mention the use of counter-propaganda as a way of resistance. He recalls W.E.B. Dubois’s book Criteria of Negro Art, published in 1926, celebrating blackness to fight institutionalized racial discrimination and racism in general. The author describes this approach as « a novel and powerful rhetorical suggestion, » which reminded me of Fanon’s similar considerations regarding Algeria’s war of independence. Parallel to his « apology » for the use of violence, Fanon also defended the idea that propaganda was needed to win the war. In his book A Dying Colonialism, published in French in 1958, four years after the start of the war and a few years before its end in 1962, Fanon aimed at countering the colonialist propaganda by showing that « Algerians definitively won the war. » The use of this tactic though, needs to be time-limited, as per my understanding of Fanon’s later writings which showed his awareness about the dynamics of the power race inside the nationalist movement. 

Language as a mechanism of control

In the chapter « Language as a mechanism of control », Stanley explains, through the notion of the « not-at-issue content », how language is used to manipulate opinion. Defined as a manipulative association of a word and an image, the author cites as an example, the word welfare and the images of urban Blacks, which, when associated, create the «not-at-issue content» that Blacks are lazy. 

Reading this made me think about the use of the expression « foreign hands » by Algerian officials and how they associate it with the image of Algerian activists defending human rights, which were first proclaimed in France. Based on this rhetoric, anything French or coming from the West is a form of foreign re-colonization. This creates the « not-at-issue content » that human rights activists are traitors, which in itself is a reference to the Harkis. This propagandistic discourse is based on the flawed ideological belief that Algeria’s independence leaders/ »fathers » who laid down the country’s founding principles could only have created a political system that’s just, fair and undiscriminating, because of the collective long-suffering. Algerians adhering to this narrative are the true nationalists who are needed to build the country. Those questioning it are the traitors in favor of a foreign reconquest. 

This points out the need for the two norms suggested by Stanley: one of objectivity defined as «systematic openness», a deliberative practice questioning whether one has been unknowingly influenced by bias. The other is a «capacity to be sensitive» to the consequences of a flawed belief system. In Algeria’s case, both are lacking, and the consequences have been terrible with the harassement, prosecution and imprisonment of many activists. 

Other mechanisms of control

Whatever the context, a dominant political group always strives to maintain its dominance, using different control mechanisms that Stanley helps us clarify. To add to the manipulative use of language, ideology, defined as « a social script that governs one’s expectations, normative and practical » is also used to achieve social control. For example, patriarchy and its flawed expectations, made of the harassment of women by men, a non-existent concept for a long time. Thus, ideology is problematic because it is a barrier to the acquisition of knowledge, which is also part of the mechanisms of the control sphere. 

Outlining the barriers for oppressed people who strive for political action against those controlling them, Stanley explains that the « knowledge-action » principle is hindered by the « interest-relativism » of knowledge. If a worker in a company, for instance, wants to set up a union because he/she believes that workers are being exploited, he/she would have to risk losing his/her job, because to convince people to join the union, he/she will have to discuss working conditions. The « interest-relativism » of knowledge here is related to the risk assessment one would make because of his/her position in the hierarchy structure. It might be less risky to follow the propagandistic narrative of the employer than to be exposed to his/her wrath in case he/she hears about the employee’s action.  

One last aspect of the control mechanisms that I find important to mention relates to the notion of « motivated reasoning », which in social psychology, is the non-rational beliefs created by a group for social control. Since Stanley’s main study case is the elite in the United States, he describes how highly privileged people have been able to use the vague notion of « merit » to give justification for their « superiority » over negatively privileged people. Creating this « motivated reasoning » still hinders today’s democratic deliberation about the production and redistribution of wealth.

Conclusion 

As someone living between several cultures and frequently engaged in debates – both as a recipient and a participant-, I find Stanley’s book to be an essential reading because he demonstrates that propaganda is not an Orwellian fantasy or a problem confined to autocraties or dictatorships—it is a present and persistent threat to the democratic ideal worldwide.

This book also helps you transform intuitive understandings into clearly articulated concepts, providing analytical tools for a more effective argumentation. In that sense, there is something in Stanley’s book that is actively calling to action, in the most practical sense. 

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Au Maroc, il est urgent d’arrêter de foncer sur les manifestants pour maintenir l’ordre !

Ces dernières semaines, les manifestations de rue de la « GenZ 212 » au Maroc semblent s’être essoufflées, après avoir connu leur pic en octobre avec ces slogans récurrents : « Liberté, dignité, justice sociale », « On ne veut pas de la Coupe du monde, la santé, d’abord » ou encore « Le peuple veut la fin de la corruption ». Ces revendications ont fait suite à la mort soudaine de 8 femmes après leur accouchement par césarienne dans un CHU d’Agadir en août, soulignant les failles du système de santé. Les manifestants ont ainsi rappelé aux dirigeants la réalité douloureuse du présent, quand ces derniers font le choix d’investir des milliards de dollars en prévision de la Coupe du monde de football en 2030, co-organisé par le Maroc.

Porteuse d’espoir, cette mobilisation a permis de démontrer l’existence d’une conscience politique forte chez la jeunesse marocaine quant aux enjeux politiques nationaux, ainsi qu’une capacité à saisir la portée mobilisatrice d’un mouvement devenu transnational avec le déroulement concomitant de protestations similaires dans d’autres pays, comme le Népal et Madagascar. Cet acte de résistance est donc pour rassurer quant à la capacité de résilience de la jeunesse dans un monde qui nous donne parfois l’impression d’être devenu atone malgré la gravité des événements qui s’y déroulent au quotidien.  

En face, la réaction des autorités a été pour le moins violente. Au moins mille personnes ont été arrêtées, dont une trentaine poursuivies pour « participation à une manifestation non-autorisée », entre autres chefs d’inculpation. Et puis, il y eut cette scène, devenue virale une fois partagée sur les réseaux sociaux, dans laquelle on voit deux fourgons de police foncer sur la foule à Oujda, dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre, percutant au moins deux manifestants. Selon Human Rights Watch, Amine Boussada, l’une des deux victimes a perdu une jambe, d’après les déclarations de son père à l’organisation, alors que la deuxième Wassim El Taibi, âgé de 17 ans avait besoin d’une aide médicale urgente.  

Cette tactique de maintien de l’ordre n’est pas nouvelle. En 2019, c’est au territoire non-autonome du Sahara occidental que les autorités marocaines ont eu recours à cette méthode, lors de la célébration par les sahraouis de la victoire de la coupe d’Afrique par l’Algérie à la CAN-2019. La jeune Sabah Njourni, 24 ans, y a laissé la vie après avoir été écrasée par un fourgon de police. 

Avant cela, en 2018, à Jerada, ville au nord du pays où des protestations avaient éclaté suite à la mort de deux jeunes dans des mines de charbon, des fourgons de police ont également été filmés en train de foncer dans un terrain vague où se trouvaient des dizaines de manifestants, pendant que les autorités tiraient des gaz lacrymogènes. À l’époque, Amnesty International a rapporté qu’un enfant de 14 ans avait été percuté. 

Ce rappel historique démontre que ce qui est arrivé à Oujda ne relève pas de l’excès de zèle, mais bien d’une méthode institutionnalisée visant à terroriser les manifestants. La brutalité policière, quand elle s’assume ainsi, donne le sentiment d’un mépris total pour les peuples qui font exister la société, et au de-là pour la vie humaine. Comme-ci qu’occuper l’espace public pour contester pacifiquement n’était pas un droit. Cette violence aveugle et irrationnelle peut d’ailleurs évoquer d’autres images choquantes comme celle du bulldozer israélien qui a écrasé Rachel Corrie en 2003. 

Il est urgent que cette tactique de maintien de l’ordre cesse d’être utilisée, car en plus de renvoyer à un manque flagrant d’humanité, elle est contraire à la Constitution marocaine et au droit international des droits humains ! Elle représente également un usage de la force qui ne prend pas en compte les devoirs des autorités et notamment sa responsabilité à protéger les manifestants et les manifestations. Enfin, elle confirme cette parole d’une manifestante qui déclarait à l’animateur du podcast « Kalam » : « Chez nous, il y a le Maroc  et il y a « El Moughrib » », soulignant ainsi la déconnexion qui existe entre les centres de décisions qui promeuvent l’image d’un pays moderne et innovant, et la réalité vécue par des périphéries, en décalage, et confrontés à la répression, quand ils et elles osent protester.  

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«  L’espace public » : retour sur un classique du théoricien allemand Jürgen Habermas 

La lecture de l’ouvrage « L’espace public » de Jürgen Habermas est une étape essentielle pour quiconque s’intéresse à l’évolution de la démocratie moderne. Cet ouvrage réunit deux textes qui éclairent sur la formation historique de l’espace public, ses caractéristiques et son évolution.

Le premier texte intitulé « L’espace public, archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise », a été publié en 1962 et constitue la thèse d’habilitation de l’auteur. Le second texte, publié en 1990 et intitulé « l’espace public, 30 ans après » est une réflexion rétrospective et introspective sur les critiques et les changements survenus depuis la première publication.  

Pour situer l’émergence de l’espace public bourgeois, Habermas propose une étymologie de plusieurs concepts-clés. Ainsi, on apprend que c’est au milieu du XVIIe siècle qu’apparaît le terme « public » en Angleterre. En Allemagne, le terme « publikum » existe dès le XVIIIe sièclequand auparavant, celui-ci était désigné par le  « lesen publikum », c’est à dire le « monde des lecteurs ». Le dictionnaire allemand Adelung (paru entre 1774 et 1801) distingue le public qui se rassemble pour écouter un orateur ou voir un acteur, du public des lecteurs (das lesenpublikum). Ce qui est soumis au jugement du public acquiert de la « publicité », terme apparu d’abord en français puis en anglais à la fin du XVIIe siècle, avant l’Allemagne au XVIIIe. Le public qui exerce sa raison forme une « opinion publique », expression qui en Allemagne, s’est forgée au cours de la deuxième moitié du XVIIIe siècle à partir de son équivalent en français. Le terme « Public opinion »  est apparu en Angleterre à peu près à la même époque, « général opinion » étant utilisé depuis longtemps.

Évolution du concept d’espace public 

Si l’on suit la pensée d’Habermas, l’espace public n’est apparu qu’au fur et à mesure d’une polarisation croissante entre la sphère sociale d’une part, et la sphère privée de la famille et de l’intimité, d’autre part. L’espace public n’était en effet jusqu’au XVIIe siècle en Europe (principalement en Prusse, en France et en Angleterre), qu’espace de représentation réservé principalement aux monarques. Ce concept a évolué avec l’apparition de clubs de lecture, de cafés et de salons où des personnes privées échangeaient autour de productions littéraires, avant de débattre de sujets plus généraux liés aux intérêts de la classe bourgeoise vis-à-vis du pouvoir.

L’apparition de la sphère sociale du travail complexifia un peu plus les rapports entre le public de plus en plus autonome financièrement et les monarques. L’apparition de l’opinion publique s’est alors formée pour revendiquer l’exercice du raisonnement comme motif légitime pour participer, représenter ou décider au sein de l’espace public, et principalement sur le terrain de l’échange des marchandises et du travail social. 

Face aux nombreuses critiques qu’a connues Habermas notamment de la part de penseurs qui se situent de sa lignée de pensée comme Axel Honneth, Oscar Negt ou Nancy Fraser, Habermas a fait évoluer son concept d’espace public au début des années 90, en le redéfinissant comme « espace non-organisé où se déroule l’exploration et la résolution de problèmes, n’étant pas programmé pour la décision au sein de flux de communication non pénétrés par le pouvoir politique, et où doivent être clarifiés les modes de diffusion et d’organisation et les modes d’institutionnalisation des supports de l’espace public. »

Qu’est-ce que l’opinion publique (et l’opinion non-publique) ? 

Le concept d’opinion publique occupe une place importante dans le texte principal d’Habermas, puisque sa formation et son évolution sont au coeur de la formation de l’espace public politique.

L’opinion publique est formée principalement par le public critique du pouvoir en place. Elle représente la volonté du peuple et est une forme d’exercice de sa souveraineté. Apparue sous une forme plus ou moins organisée, elle a permis l’apparition d’institutions comme le Parlement ou d’organisations comme les médias, qui ne sauraient en être les seules représentations. En effet, l’opinion publique est plus large et doit permettre l’existence d’une concurrence des arguments privés, avec comme objectif de faire apparaître un consensus public, basé sur la recherche de l’intérêt général. 

À noter qu’en 1962, Habermas a tenu à mettre en garde contre le sondage visant à déterminer l’orientation de l’opinion publique. Dans des contextes autoritaires, il souligne le danger de voir le sondage représenter seulement une « fiction d’opinion publique », alors que dans des pays démocratiques, il peut contribuer à dissoudre par la psychosociologie, le concept d’opinion publique. 

Habermas aborde aussi dans sa thèse, la notion d’ « opinion non-publique ». Elle résulte de décisions prises par le pouvoir sur la base d’un débat imposé à des fins de manipulation et qui se « soustrait à un exercice public de la raison ». Par exemple : prendre des décisions par ordonnance en invoquant la « légitimité » du scrutin présidentiel. 

Le dévoiement du concept de Publicité 

Concept clé chez Habermas, la publicité ne signifie pas ce que nous en comprenons aujourd’hui. La publicité commerciale, ou à des fins de « manipulation », est plutôt un dévoiement de la fonction première de la publicité. 

Le philosophe allemand Kant est un des premiers à avoir proposé le concept de « Publicité » au XVIIIe siècle. Ce concept est lié à un autre celui de l’« Aufklarung » (les lumières, en français) qui considère que l’homme est responsable et doit décider en exerçant sa raison. Pour cela, il est essentiel de diffuser ce qui résulte de l’usage public de la raison. C’est cela la publicité. Elle a d’abord concerné la publication des comptes-rendus de débats judiciaires ou parlementaires, permettant l’exercice de la raison de manière critique. 

Ce principe essentiel va peu à peu perdre son sens premier et Habermas fera ainsi une distinction entre publicité à visée critique, servant à la formation de l’opinion publique notamment dans les démocraties libérales et la publicité dont l’objectif est la démonstration et la manipulation, et qui mène à l’apparition d’une opinion non-publique, notamment au sein de l’État social, où la publicité peut être utilisée comme un moyen d’exercice privatisé du pouvoir. Habermas critique également l’utilisation de la publicité dans le cadre d’impératifs liés à la représentation d’intérêts privés, individuels ou collectifs. Ainsi, il écrit : « « Si l’idéal de la Publicité s’exprime toujours dans les termes d’une rationalisation, celle-ci est tout d’abord limitée puisqu’il faut tenir compte de la multiplicité des intérêts privés organisés ; d’autre part, il ne peut s’agir désormais d’une rationalisation de l’exercice du pouvoir social et politique, sous le contrôle réciproque d’organisations concurrentes qui, tant dans leur structure interne que dans leurs rapports entre elles ou avec l’Etat, seraient elles-mêmes liées au principe de Publicité ». 

Dans sa critique, Habermas va également mettre en exergue le rôle de la presse et des mass media qui selon lui, ont fait de l’idée de publicité, un moyen de consommation culturelle dont les fonctions sont « démonstratives ». Pour l’auteur, c’est à partir des années 1830/1840, que le principe de publicité a été dévoyé dans la presse. Sur ce sujet, il écrit : « La grande Presse repose sur le détournement à des fins commerciales de la participation à la sphère publique de larges couches de la population : procurer aux masses essentiellement un simple accès à la sphère publique. Cependant, cette sphère publique, élargie, perd de son caractère politique dès lors que les moyens mis au service de l’ « accessibilité psychologique » (via les moyens de publicité) ont pu être transformés en une fin en soi : maintenir la consommation à un niveau déterminé par les lois du marché. » Ainsi, les médias chercheraient à susciter une adhésion ou une identification à un groupe, de manière superficielle, c’est-à-dire sans argumentation et sans raisonnement.  

L’apparition du réseau commmunicationnel et du pouvoir médiatique

Cette partie est surtout développée dans la préface de l’ouvrage, datant de 1990 et commentant l’évolution du concept d’espace public.

Pour l’auteur, la commercialisation dans la sphère publique via la presse a mené à une condensation du réseau communicationnel, ce qui a donné naissance au pouvoir médiatique qui ne chercherait qu’à vassaliser le public, en plus de l’extorquer. Néanmoins, l’auteur dit s’être rendu compte de l’existence d’une capacité de résistance des masses. Ainsi apparaît la « force productive de la communication », décrite comme une force sociale de solidarité capable d’agir contre le pouvoir politique (principalement la bureaucratie) et contre celui de l’argent. Cette force doit avoir pour mission la recherche d’un consensus par l’exercice du principe délibératif (arguments, raisonnement et négociation au niveau public), sur la base d’une éthique de la discussion aboutissant à la démocratie délibérative. 

De là, va naître la théorie de l’agir communicationnel d’Habermas, qui vise à dégager un potentiel de rationalité en déployant une recherche scientifique des processus généraux de rationalisation culturelle et sociale. 

En conclusion…

Ce classique des sciences sociales est une lecture obligatoire et chronophage. Elle en reste très exaltante tant par la richesse des idées qui y sont proposées que par les liens qu’il est encore possible de faire avec les questionnements les plus actuels sur l’espace public politique aujourd’hui.

A souligner qu’il est parfois compliqué de s’y retrouver en termes de chronologie tant Habermas ne fait qu’assez rarement référence aux dates ou périodes auxquelles est rattachée l’émergence de certains processus à l’intérieur de la sphère publique. 

L’analyse des rapports de dominations au sein de la sphère publique politique critique est également absente, notamment en lien avec les rapports de classe et de genre. En 1990, néanmoins, Habermas envisagera l’existence d’espaces public concurrents, dont certains peuvent être exclus par l’espace dominant.

Enfin, il reste encore à rattacher les concepts avancés par Habermas à des pays dont l’histoire est marquée par d’autres dynamiques historiques, alors que le cadre conceptuel élaboré par le philosophe est souvent invoqué par des dirigeants autoritaires comme preuve d’une gouvernance « démocratique ».  

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L’aide publique au développement : c’est bientôt fini ? 

Tous ceux et celles, engagés, au niveau local, national ou global dans le secteur associatif, ont vu passer les nouvelles relatives à la diminution progressive des ressources allouées à l’aide publique au « développement ». Certains ont été affectés directement par les coupes budgétaires de ces dernières années, au niveau professionnel ou plus grave encore, pour subvenir à des besoins de première nécessité. Qu’on soit directement concerné ou pas, les enjeux et conséquences de cette crise mondiale permettent de rendre compte d’un monde en perte de repères. 

Si j’ai utilisé plus haut, les guillemets pour le mot « développement », c’est pour adresser d’emblée les critiques qui voient dans cette aide un outil d’influence visant seulement à maintenir dans une position de dépendance les pays du Sud, moins développés économiquement, vis-à-vis de ceux du Nord, pourvoyeurs des fonds liés à cette aide. De mon point de vue, l’aide publique au développement représente surtout une opportunité permettant de réfléchir et d’agir pour la démocratie dans toute sa complexité. Il est d’ailleurs alarmant de lire que les fonds traditionnellement dévoués à cette aide, sont désormais réorientés vers les secteurs de la défense et de l’extractivisme.

Enjeux autour de l’aide publique au développement 

Les coupes budgétaires à l’aide au développement ont commencé à inquiéter à partir de 2020 quand Boris Johnson, personnage haut en couleurs, et Premier ministre conservateur du Royaume-Uni jusqu’en 2022, a annoncé la fermeture du département pour le développement international et sa fusion avec le Ministère des Affaires étrangères. Pour justifier cette mesure, Boris Johsonn a évoqué un « monde de plus en plus compétitif », déplorant que l’aide à l’étranger ait été traitée pendant trop longtemps comme un « énorme distributeur de billets dans le ciel ». Résultats : le budget de l’aide au développement a depuis baissé d’environ 6 milliards de dollars, créant au passage un effet domino. Ainsi, en Suède, le budget de l’agence de coopération internationale au développement (SIDA) a été réduit de moitié en 2023. En France, l’aide au développement a vu son budget diminuer d’environ 40%, soit 2,6 milliards de dollars, alors que cette aide ne représente que 0,45% du revenu national brut du pays. Aux États-Unis, le Président Donald Trump a dès son arrivée au pouvoir, sonné le glas de l’Usaid, l’agence fédérale indépendante pour le développement international dont le budget annuel oscillait entre 40 et 60 millards de dollars. Quelques programmes sont passés sous la coupe du département d’État, avant que le Congrès n’acte par son vote du 17 juillet, la disparition officielle de l’Usaid. Cette décision de Trump lui a ainsi permis de passer un double message : en interne, montrer l’exemple et le sort réservé aux agences fédérales quand elles ne répondent pas aux attentes des chantres du mouvement MAGA, et à l’international, renforcer l’image d’un président transactionnel, dont les leviers d’action reposent principalement sur la force et la vindicte haineuse. 

Autre enjeu majeur : la question du financement car l’économie du développement représente un écosystème de la finance internationale, à elle toute seule. On y développe des concepts tels que les « financements mixtes » public-privé combinant les ressources des gouvernements et des acteurs privés dans l’objectif de maximiser les investissements ou encore le « de-risking » pour atténuer les risques liées à l’incertitude qui entoure les investissements dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. Ainsi, les fonds qui servent à financer l’aide au développement n’ont rien de dons altruistes et désintéressés à la base. C’est plutôt leur objet qui peut les rendre utiles quand ils sont bien distribués. L’aide au développement est également un moindre mal comparé à des politiques économiques beaucoup plus agressives, comme celles des ajustements structurels, qui imposent souvent des mesures drastiques et peuvent avoir des conséquences néfastes sur la stabilité sociale et économique des pays concernés.

Les conséquences d’une crise mondiale 

La crise mondiale de l’aide au développement est le symptôme d’un monde qui privilégie de plus en plus, le langage de la force. Pour certains analystes, il revient de savoir si la Chine et son modèle de développement, beaucoup moins enclin à défendre le respect des droits fondamentaux, n’est pas en train de prendre la place des pays occidentaux. Plusieurs initiatives confirment cette orientation de la diplomatie chinoise, à travers la Belt and Road initiative, l’Initiative pour une Civilisation Globale (ICG), les Cinq Principes de la Coexistence Pacifique… etc. 

Les coupes budgétaires dans le domaine de l’aide au développement représentent également une catastrophe humanitaire. L’ONU Sida a établi que 6,3 millions de personnes pourraient perdre la vie dans les quatre prochaines années, suite au démantèlement de l’Usaid. Amnesty International, qui a mené une étude sur les conséquences de l’arrêt de l’aide américaine dans douze pays, dont le Yémen, Le Sud Soudan et l’Afrique du Sud a constaté que les populations civiles, notamment celles qui sont marginalisées, déplacés ou victimes de violations graves des droits humains, se sont retrouvés brutalement privés d’accès à des soins de base.  L’ONG a appelé à un rétablissement urgent de cette aide, tandis que des plaintes ont été déposées aux États-Unis et ailleurs pour protester contre la fin de contrats liés à des programmes établis en amont. 

En outre, des centaines d’employés des agences d’aide ou des organisations qu’elles finançaient, se sont retrouvés au chômage. Des anciens salariés de l’Usaid à Washington ont rapporté avoir découvert leur licenciement, par email, avec effet immédiat. Ce choc a engendré des sentiments d’injustice, de culpabilité et une grande anxiété quant à l’avenir du monde, dans ce secteur où l’engagement humaniste est souvent de mise. 

La crise de l’aide au développement met également en lumière l’érosion du modèle occidental de la démocratie libérale. Pour les citoyens de ces pays où l’espace public politique continue tant bien que mal à exister, le débat public est de plus en plus polarisé de manière assumée. L’idée au coeur de la démocratie représentative, à savoir la valorisation de l’existence de différents avis et courants idéologiques, au sein d’une société favorisant le dialogue, est en péril, menant certains penseurs de la démocratie à appeler à revoir les modes de scrutin, les formes de gouvernance et la nature même du contrat social.

Nous, anciens colonisés, habitués à penser la démocratie comme revendication de gouvernance idéale tout en se méfiant des visées impérialistes des grandes puissances, sommes pour notre part, atteints de vertiges quand informer de la montée de l’extrême droite, de la haine des migrants et des prises de décisions autoritaires et centralisées partout en Europe et en Amérique. Notre dissonance cognitive n’en est que renforcée, pendant que les dirigeants de nos pays se réjouissent de pouvoir continuer à profiter de leur modèle de démocratie-fiction.

Des solutions existent, mais qui pour les mettre en place ?

Pour palier à la crise de l’aide au développement, des propositions ont été formulées par les organisations de la société civile, notamment lors de la Quatrième Conférence internationale sur le financement du développement qui s’est tenue du 30 juin au 3 juillet 2025. Cette conférence des Nations Unies, dont les premières éditions se sont tenues en 2002, 2008 et 2013 a pour objectif de permettre la réalisation des dix-sept objectifs de développement durable (ODD), en réunissant dirigeants mondiaux, institutions internationales, entreprises et société civile. Lors de cet événement, les organisations de la société civile en ont profité pour avancer plusieurs propositions, parmi lesquelles une plus grande coopération démocratique au sein des Nations Unies, des mécanismes de règlement de la dette justes et transparents, une aide publique au développement qui renforce les services publics et les droits humains, et un environnement favorable à la société civile.

Au vu de la tournure que prennent les relations internationales notamment depuis la guerre en Ukraine et le génocide des Palestiniens à Gaza, rien n’est moins sûr que de voir l’appel pour remettre la solidarité internationale au coeur de l’aide au développement, être entendu. Cette situation est symptomatique d’une fascination croissante pour des rapports de force qui ne s’encombrent plus d’inclure une vision humaniste héritée de luttes passées contre toute forme de totalitarisme. Un peu partout donc, même dans les pays qui ont produit les plus grands penseurs de la démocratie de ces derniers siècles, le choix est fait par des dirigeants, ignorants, opportunistes et égocentriques, de détourner le regard, au grand dam de ceux et celles qui pensaient avoir trouvé une béquille solide pour continuer à penser et à défendre l’idéal démocratique et qui démunis, se retrouvent à devoir redéfinir leurs modes d’action, tant au niveau individuel que collectif. 

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What a strange world…

About Paris Fashion Week, the Global Sumud Flotilla, and PTA’s latest movie

Did you ever think about how strange this world is? I am sure you did ! I do believe sometimes it gets weirder when largely covered yet very different events happen all at once.

In the past few days, it struck me to get a sense of how disconnected human beings can be, with each “bubble” of people having its public figures and supporters. Of course, one cannot help but ask : what if those worlds crossed paths ?

First, let’s speak about the Fashion Week. In Paris, it is happening now. If interested in fashion for reasons of your own kind (and there are many without the need to label people as capitalists/superficial/stupid- especially when you enjoy a look on your mirror), you do realize that the only political “statement” you will find is about the material that’s used to design the clothes and the need to protect the environment ! It’s been said by specialists that for the past few years, inclusivity with plus-size or transgender models for example lost its momentum, reflecting a world where the ideal of liberal democracy is at risk everywhere.

Political consciousness on that side of the world thus seems blocked at the gates of the Haute Couture shows, while public figures that are photographed and sometimes interviewed, do not comment in any way at what’s been happening.

This is strange for two reasons : first, it’s different from other big cultural events where we’ve seen some kind of mobilization to raise awareness about international conflicts. Remember the Superbowl Halftime Show where people from Kendrick Lamar’s crew raised the flags of Sudan and Palestine ? Or more recently, the Venice film festival where Kaouther Ben Henia’s movie “The voice of Hind Rajab” was met with a long standing ovation and won a prize ?

Second, there is one big event happening that could use some support, namely the Global Sumud Flotilla that tried to lift the blockade on Gaza to provide the population with humanitarian aid. Although the 44 boats have all been intercepted, sparking protests all over Europe notably, they had the merit of mobilizing the news cycle for the past few weeks, with the help of passengers such as Greta Thunberg. Now the hundreds of activists who tried to make it to the Gaza strip are under arrest, stuck in Israel and awaiting to be deported. The authorities’ reactions of the countries where the activists come from have been uneven. The strongest came from Colombia, which expelled Israeli diplomats from its country. Belgium summoned the Israeli ambassador. The need to protect those citizens, who redefine the idea of international activism, is urgent and using a venue such as Fashion Week could have an impact, especially right at the moment obviously…

Then there is the latest picture from one of the greatest directors of our times, Paul Thomas Anderson. In “One battle after another”, PTA, as many call him, tells us a story about what everyone heard about by this point, the rise of political violence in America. The movie is about a group of people, who use violence as a way to resist repressive migration policies. Their oppressors are not the police but the military. Their leading character is a white male revolutionary played by Leonardo Di Caprio, whose clumsiness prompts the audience’s laughter many times. Overall, the movie basically says that although it feels very complicated nowadays to organize, rally and act collectively on policies that are dismantling the American society, it should be possible to imagine it as fun, beautiful and highly entertaining.

Indeed, with regards to Anderson’s filmography, an action movie is not quite what you would expect, unless he feels it’s time for action. But yet again, it’s kind of weird that the main actor who leads this movie, is a very big Hollywood star who do not have a lot to do with political activism, except (again) regarding climate change. Sean Penn and Benicio Del Torro are also part of the cast along female actors such as Tenaya Taylor and Regina Hall.

I guess I am getting my hopes too high regarding the opportunity in our modern very connected world to bridge the global political and the global entertainment industry. Well maybe the lack of common interests makes it impossible and worthless…but is that really the only reason ?

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Tribune pour la libération du journaliste Rabah Karèche

(Cet article a été publié pour la première fois dans le journal Liberté en octobre 2021)

Correspondant du journal Liberté à Tamanrasset, Rabah Karèche a été condamné le 12 août dernier à une année de prison, dont huit mois ferme et à une amende de 20.000 dinars. Son procès en appel se tiendra le 4 octobre. Amnesty International appelle à sa libération immédiate et sans conditions.

Pourquoi est-ce qu’en Algérie aujourd’hui, le correspondant d’un journal se retrouve-t-il en prison, condamné pour rien si ce n’est le fait d’avoir rapporté fidèlement la colère des Touaregs algériens vivant dans le sud ? Difficile de répondre à cette interrogation sans se dire que c’est une plume que l’on veut briser ; parmi celles qui portent dans la plaie…cherchant à guérir les maux de ceux qui marginalisés, car loin du centre, ne peuvent pas toujours se faire entendre.

A y voir de plus près, la condamnation de Karèche est liée à son travail. Les autorités lui reprochent d’avoir couvert une manifestation dans le village de Tazrouk, près de Tamanrasset contre le découpage territorial de l’Algérie, en 58 wilayas. C’est la deuxième fois depuis l’élection du président Abdelmadjid Tebboune qu’un journaliste se retrouve derrière les barreaux pour ses articles de presse, après le journaliste indépendant Khaled Drareni, condamné en appel à deux ans de prison ferme en septembre 2020, puis libéré provisoirement en février.

Karèche a été accusé puis condamné à de la prison sur la base d’accusations fallacieuses d’ »atteinte à l’unité nationale », d’ »incitation à la haine dans la société » et de « diffusion de fausses informations ».

Qui peut encore croire qu’un journaliste qui fait son travail en relatant des faits et des informations d’intérêt public pour le compte d’un grand quotidien national, puisse se faire accuser de tels crimes ? L’utilisation du code pénal et de la loi 20-05 relative à la prévention et à la lutte contre la discrimination et le discours de haine peut-t-elle être justifiée ? La réponse que nous donnons à Amnesty International est que non et que cette détention est sans fondement.

Il faut dire que cela faisait plusieurs mois que Rabah Karèche était harcelé, par des interrogatoires fréquents de la police concernant son travail et ses sources. Le journaliste a eu le courage de résister, de ne pas lâcher, de n’abandonner ni la cause du journalisme, ni ses convictions.  

Le harcèlement du journaliste par les autorités a abouti à une détention provisoire puis à une condamnation en août dernier, à une peine d’une année de prison, dont huit mois ferme.

Le déroulement de son procès avec la présence de journalistes et avocats de renom, en a surpris plus d’un. En effet, le juge n’a par exemple pas hésité à considérer comme preuves, des passages d’articles de Karèche, dont l’expression « déterrer leurs haches de guerre », traduite littéralement en arabe pour servir l’accusation d’ »atteinte à l’unité nationale ».

C’est à croire qu’un journaliste qui propose une analyse, du fait d’une connaissance approfondie de son sujet, du fait de son expérience, de son travail acharné, est un criminel. Absurde accusation surtout quand on sait que Karèche qui a écrit plus de soixante-dix articles cette année, n’a eu de cesse de raconter ce qui se déroule à Tamanrasset, et notamment les problèmes liés à l’éducation et au développement dont souffrent cette région. C’est d’ailleurs ce qu’il fait depuis qu’il s’est installé dans cette ville, il y a dix ans de cela.

La sentence qui est imposée à Rabah Karèche est injuste. Par cet emprisonnement, on prive Tamanrasset d’un de ses plus brillants journalistes, un mari de son épouse et deux enfants de leur père.

Ce verdict inique doit être annulé et le journaliste libéré. La criminalisation du journalisme sur la base du code pénal doit également cesser.

Ainsi, la Constitution qui interdit dans son article 54 l’emprisonnement pour des délits de presse, serait respectée, autant que les conventions internationales ratifiées par l’Algérie.

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Dans un monde post-COVID19, la criminalisation des « fake news », un nouveau coup porté à la liberté d’expression en Algérie et au Maroc

(Cet article a été publié une première fois en ligne dans les blogs de Mediapart en mai 2020)

Le 27 avril, un tribunal marocain ordonnait l’arrestation et la poursuite en justice du défenseur des droits humains Omar Naji, citant l’article 447-2 du code pénal qui punit quiconque répand de « fausses allégations ou des faits mensongers » dans le but de « porter atteinte à la vie privée ou de les diffamer » avec une peine de prison pouvant aller jusqu’à trois ans et une amende d’un maximum de 20 000 dirhams (environ 2 000 $ US).

Comme élément de preuve, le juge de la ville de Nador, dans le nord du pays, a utilisé un commentaire de Naji sur Facebook, publié une semaine plus tôt. Celui-ci critiquait la redistribution par la police de la marchandise de vendeurs de rue à des organisations à but non lucratif. Naji, de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), a été libéré sous caution le lendemain mais la procédure judiciaire contre lui est toujours en cours et son procès est prévu le 2 juin.

Les poursuites judiciaires contre Naji ne sont qu’un exemple des dispositions légales existantes au Maroc pour censurer et punir la liberté d’expression en ligne. Dans un futur proche, il est possible que le nombre de cas similaires augmente puisque le 19 mars, le Conseil de gouvernement marocain a adopté le projet de loi 22.20 criminalisant la notion peu claire de « fausses nouvelles », ou « fake news », avant d’annoncer le 7 mai le réexamen du texte en question. 

Plusieurs articles de ce projet de loi sur l’utilisation des réseaux sociaux et réseaux similaires, dont les détails ont été divulgués aux médias, sont alarmants. Par exemple, les articles 16 à 19 prévoient que la diffusion de « fausses nouvelles » est passible de peines de prison allant jusqu’à cinq ans lorsque le but est de nuire à la « sécurité nationale ».

Cette répression du droit à la liberté d’expression – en utilisant comme prétexte la diffusion de « fake news » – ne se limite pas au Maroc. En Algérie, un amendement du code pénal adopté le 22 avril, punit quiconque répand des « informations ou nouvelles, fausses ou calomnieuses » visant à « porter atteinte à la sécurité de l’État » d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison et une amende pouvant atteindre les 300 000 DA (environ 2 322 $ US).

Dans son rapport annuel 2019, Amnesty International souligne qu’en Algérie et au Maroc/Sahara Occidental, les dispositions du code pénal sont souvent utilisées pour arrêter et poursuivre des personnes dont le seul tort est d’avoir exprimé librement leurs opinions en ligne. Les dernières mesures prises par les deux gouvernements pendant la crise sans précédent du COVID-19 sont extrêmement préoccupantes.

En effet, ces lois restrictives sont discutées ou adoptées alors que les citoyen.nes ont plus que jamais besoin d’avoir un accès sans entrave aux informations sur la pandémie et sur les décisions prises pour protéger la santé publique, afin de pouvoir les remettre en question ou en critiquer les lacunes.

Ces gouvernements pourraient également imposer de nouvelles obligations aux plateformes de réseaux sociaux, qui jouent un rôle crucial pour permettre aux individus d’accéder à des informations fiables et d’exprimer leurs opinions. Au Maroc, le projet de loi 22.20 ordonne la mise en place d’un mécanisme de recours pour les utilisateurs se plaignant de « contenus illégaux », pouvant porter atteinte à « l’ordre public, la sécurité et les constantes de la monarchie », dont les définitions sont imprécises. Un « instance » serait chargé de sanctionner ces plateformes par des avertissements et de lourdes amendes sans plus de clarté sur l’identité, le rôle et les prérogatives de cet organe.

Bien que les États doivent veiller à ce que les entreprises que sont les plateformes des réseaux sociaux n’abusent pas du droit à la liberté d’expression, ils doivent également s’abstenir d’imposer des obligations de surveillance proactive du contenu en ligne, ou des régimes de responsabilité intermédiaire qui incitent à une censure excessive de leurs utilisateurs.

À Amnesty International, j’ai documenté des dizaines de cas où des militant.es des droits humains et des journalistes ont été convoqué.e.s, poursuivi.e.s et détenu.e.s en Algérie et au Maroc / Sahara occidental simplement pour leurs publications en ligne sur les réseaux sociaux. Nous avons appelé sans relâche les États à abandonner les charges et à libérer ces individus immédiatement et sans condition.

Cependant, non seulement ces gouvernements n’ont pas libéré ces personnes mais ils intensifient maintenant leurs efforts pour censurer les informations pertinentes et dérangeantes pour le gouvernement ou utiliser la crise du COVID-19 comme prétexte pour briser les voix dissidentes.

À une époque où la santé et les moyens de subsistance des populations sont menacés, les Etats ne devraient pas utiliser la notion vague de propagation de « fake news » pendant la pandémie du COVID-19, comme excuse pour réprimer les critiques en ligne. La meilleure façon de contrer les informations fausses et trompeuses est de veiller à ce que toutes les personnes aient accès à des informations fiables et fondées sur des preuves, et non de les jeter en prison pour avoir exprimé leur opinion ou d’exercer un contrôle resserré sur les réseaux sociaux.

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